Quand les Ottomans firent le point

Olivier Bouquet, Histoire graphique, technique et linguistique de la ponctuation turque ottomane, Turnhout, Brepols, 2019, 490 p.

On sait que le turc ottoman s’écrit en caractères arabes. On dit qu’à l’instar de l’arabe il n’est doté d’aucun système de ponctuation. On considère que la ponctuation du turc est le triple résultat de l’adoption de l’imprimerie, de la réforme de la langue engagée sous l’influence occidentale et de la révolution de l’alphabet latin décidée par Mustafa Kemal en 1928. En vérité, les Ottomans firent le point autrement. C’est ce qu’établit ce livre, au fil d’une enquête minutieuse qui croise belles lettres, sciences et arts du XVe siècle à nos jours. Une ponctuation ottomane existait avant l’apparition de l’imprimerie ; son devenir accompagna la transformation de la langue turque ottomane ; hors du seul domaine des influences européennes, les Ottomans créèrent leur propre ponctuation. Les systèmes de ponctuation du grec, du syriaque ou du judéo-espagnol étaient anciens et établis. Celui du turc ottoman fut tardif (fin du XIXe siècle), anomique et largement indépendant du changement d’alphabet. Il se constitua dans la continuité d’une ponctuation iconique, faite de pictogrammes et de signes de visibilité (lignes et traits, points et larmes, vides et pleins, étoiles noires et ronds dorés). Il se déploya dans les registres de l’administration et les arts de la plume, dans l’univers des sciences, de la musique et de la cartographie. Produit de la machine mais aussi de la main, la ponctuation se fit une place dans les nouvelles formes imprimées de la presse écrite, du théâtre et du roman. Mais elle nourrit également les correspondances privées et les écritures du quotidien. Certes, jusqu’à la fin de l’Empire, les Ottomans pouvaient s’en passer ou n’en utiliser qu’une partie. Mais la ponctuation était devenue un fait de langue et un lieu de vitalité intertextuelle. Et sans doute est-ce la raison pour laquelle elle investit pleinement la société graphique de la Turquie contemporaine. Bref, si elle passe encore aujourd’hui pour un objet étranger et secondaire de l’aventure des écritures orientales, la ponctuation est le produit riche et complexe d’une histoire graphique, technique et linguistique à examiner sur le temps long. Son étude éclaire aussi le passé des sociétés impériales, le présent de la République turque et le devenir du Moyen-Orient contemporain.

Pour en savoir plus, voir : http://www.brepols.net/Pages/ShowPr...