Axe thématique n°3 : « De la question sociale à la question environnementale
Mutations du travail, genre et financiarisation »

Coordination : Pascale Absi et Laurent Bazin

Chercheuses et chercheurs titulaires : Pascale Absi, Laurent Bazin, Bernard Castelli, Isabelle Guérin, Eric Guérassimoff, Gilles Guiheux, Valeria Hernandez, Isabelle Hillenkamp, Nicolas Lainez, Jean-Yves Moisseron, Pepita Ould-Ahmed, Pascale Phelinas, Boris Samuel.

Chercheuses et chercheurs associé.e.s : Eveline Baumann, Patience Biligha, Françoise Bourdarias, Abdoulaye Fall, Wenjing Guo, Antoine Heemeryck, Bernard Hours, Carine Pina, Magalie Saussey, Monique Selim, Christophe Vigne, Assen Slim, Nicolas Lainez, Colette Lepeticorps, Damaniano de Facci, Ranse Tchamba

Doctorant.e.ss : Kassia Aleksic, Floriane Bolazzi, Audrey Chalumeau, Damiano De Facci, Lara Gautier, Irene Huang, Ecem Hasırcıoğlu, Jun Li, Manon Laurent, Thimothée Narring, Madjid Osmani, Na Ou, Oriane Pledran, Elena Reboul, Antoine Rieu, Hicham Rouibah

Ce programme de recherche se décline en quatre volets consacrés aux diversifications du travail, aux formes de financiarisation et de protection, aux mobilisations fondées sur la production des sexes et du genre et aux enjeux environnementaux. Les articulations entre ces quatre ordres de phénomènes construisent la problématique de l’axe. La perspective est pluridisciplinaire : anthropologues, sociologues, économistes, historiens et politistes alimentent la problématique commune.

La financiarisation désigne l’importance croissante, pour les États, les entreprises et les populations, des dispositifs financiers et bancaires ainsi que du recours à l’endettement. La progression de la financiarisation nourrit en retour les processus de dérégulation du travail et de substitution de l’auto-entrepreneuriat à l’emploi. Elle engendre une déconnexion du travail, des revenus et des formes de protection sociale et de solidarité. L’opposition capital/travail tend à s’effacer derrière la relation débiteur/créancier. L’ancienne « question sociale » qui reposait sur l’intégration de la société par le travail et la protection sociale se reformule ainsi en termes d’inclusion financière, l’accès aux services bancaires et financiers prenant le pas sur l’accès à l’emploi.

Aujourd’hui, la question sociale est rattrapée par la « question environnementale ». La conscience d’une nécessaire « transition écologique » s’impose désormais à l’échelle globale, imprégnant les modes de production, de consommation, et investissant les marchés y compris financiers (finance « durable », assurances climatiques, marché carbone). La prise en compte de la question environnementale éclaire également, sous un nouveau jour, la production des inégalités : les risques climatiques, liés à la pollution, à la dégradation de l’environnement ou à la raréfaction des ressources épousent en grande partie ceux qui découlent de la précarité économique et ravivent les demandes de solidarité. Ces processus s’accompagnent de la mise en œuvre d’injonctions hautement morales et contradictoires, alimentant les imaginaires, les constructions idéologiques et les conflictualités.

L’ordonnancement des rapports entre les sexes est non seulement profondément affecté par l’ensemble de ces transformations : il est devenu un terrain majeur de reformulation concrète, symbolique et morale des économies politiques, dont le caractère sexué est exacerbé par l’importance croissante des normes de genre au niveau international.

Les diversifications du travail au prisme du travail global

Les pays des Suds ont constitué des laboratoires pour l’élaboration et l’expérimentation de modèles globaux de politiques d’emploi et de redéfinition des normes du travail. Portés par une vision néolibérale de réduction des « coûts du travail », ces dernières impliquent le transfert de ces coûts sur d’autres secteurs de l’économie et d’autres formes de solidarité. De multiples formes de résistance et de contestation, facilitées par l’usage des technologies numériques, tentent de resignifier le travail et les solidarités. Le phénomène d’ubérisation emblématise la capacité de sape dont les modèles d’économie dite collaborative sont vecteurs, tandis que de nouveaux types d’emploi, notamment l’émergence d’un digital labor, renforcent la désalarisation et accélèrent l’obsolescence des normes du travail et de la protection.
Comprendre les configurations du travail qui émergent nécessite à la fois :

  • d’appréhender les processus de normalisation internationale des rapports travail/revenus et travail/protection et leur implantation dans des trajectoires nationales spécifiques ;
  • de penser la diversification du travail à partir d’études précises portant sur les pratiques et rapports de travail ainsi que l’évolution de leurs cadres légaux ;
  • de porter l’attention sur les substituts à l’emploi tels la figure de l’auto-entrepreneur, du bénévole ou encore sur les marges tel le « travail du sexe » ;
  • d’analyser les multiples formes d’expérimentation et de contestation qui s’efforcent de réinventer et de resignifier le travail.

Formes de financiarisation et des protections

Les pays des Suds sont également désormais le laboratoire d’une digitalisation des paiements et des pratiques financières que permettent les technologies numériques. Celle-ci est présentée comme un moyen de « formaliser » des économies échappant en partie à la fiscalité. Cette nouvelle étape de la financiarisation renouvelle les formes de résistance, avec par exemple l’émergence de monnaies électroniques solidaires. Ces tentatives de réappropriation citoyenne et démocratique de la finance visent fréquemment des contestations politiques plus larges.
Ce programme se fixe les objectifs suivants :

  • appréhender les implications des diverses facettes de la financiarisation sur la transformation des Etat-providence et la répartition des risques entre la collectivité et les individus. Ceci suppose de rompre avec les distinctions Etat/marché/société civile, dont l’entremêlement est constant, au profit d’analyses focalisées sur la nature plus ou moins démocratique des processus en cours et sur la manière dont se partagent à la fois la valeur et les risques tout au long des chaînes de financiarisation ;
  • étudier les rapports interpersonnels qui se construisent à travers les tentatives de construction de sujets politiques qui émergent et façonnent en retour la financiarisation ;
  • aborder la finance digitale sous l’angle de l’émergence de nouveaux marchés, de nouveaux mécanismes de captation de valeur et de nouvelles institutions associées.
  • poursuivre nos efforts de renouvellement de la pensée théorique socioéconomique de la monnaie et de la finance, qui est plus que jamais d’actualité face à la montée en puissance de l’économie et de la finance comportementales.

Des enjeux environnementaux conflictuels

Les questions environnementales sont de plus en plus à l’ordre du jour. L’« environnement » est avant tout un construit social : il s’appuie sur des arguments issus du champ scientifique, mais dépend surtout de la manière dont les acteurs s’en saisissent. Ces derniers se réapproprient ces questions à l’échelle locale dans des logiques parfois contradictoires et souvent conflictuelles : travailleurs, paysans, entreprises, populations locales, consommateurs, pouvoirs publics, organisations internationales, ONG et scientifiques. Trois décennies après l’imposition de la « transition à l’économie de marché » à l’échelle globale sur la base du consensus de Washington, la « transition écologique » se présente désormais comme un impératif politique et/ou moral, suscitant de profonds dissensus sur la scène internationale et alimentant une multitude de conflits locaux.
Le programme de recherche aborde ces questions sous différents angles :

  • La perception des risques environnementaux et du changement climatique notamment dans l’agriculture et dans le champ de la préservation de la biodiversité, ainsi que l’écart des logiques entre pratiques agricoles, action des institutions publiques et production de connaissances scientifiques ;
  • L’inégalité d’accès aux ressources (terres, eau, services écosystémiques etc.) et les modalités de mise en œuvre de modèles économiques d’exploitation intensive (agriculture, pêche) ;
  • Les réponses des groupes sociaux et des institutions aux problèmes environnementaux et aux injonctions qui visent à la protection de la nature (mobilisations politiques, création d’entreprises alternatives, etc.) et leurs articulations avec un projet plus global de refonte du politique ;
  • La manière dont les enjeux écologiques sont articulés aux pratiques sociales, politiques, féministes, identitaires selon des logiques revendicatives et contestataires mais aussi discrètes et subversives ;
  • La manière dont les paradigmes évoluent en sciences sociales afin d’intégrer l’impératif environnemental.

Des économies politiques sexuées

Les figures sexuelles sont au cœur des processus économiques de production de richesses, de division du travail, de circulation monétaire, de dette, de protection et de solidarité, et rapport à l’environnement et à la nature. Elles sont bousculées par les mutations qui affectent le travail, la constitution des revenus, les dispositifs monétaires et financiers, la gestion des ressources.
Le programme de recherche se fixe comme objectifs de :

  • déchiffrer les grammaires de la sexuation des processus abordés dans les trois autres volets ;
  • comprendre le genre comme une norme globale de gouvernance, désormais prépondérante dans tous les financements internationaux destinés aux résolutions des problèmes de développement, de pauvreté, d’inégalité et le rapport particulier qui se tisse entre les femmes et l’environnement et sa défense et le surgissement de nouveaux courants d’écologie politique féministes.

Domaines géographiques et pays concernés

Afrique occidentale et Maghreb ; Amérique du Sud ; Asie du Sud, du Sud-Est et orientale, Caucase, espace Pacifique.
Algérie, Arménie, Azerbaïdjan, Argentine, Bolivie, Brésil, Chine, Côte d’Ivoire, Equateur, Inde, Mali, Maroc, Russie, Sénégal, Tunisie